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Données massives et santé publique, 25 avril 2019, Nantes
25 avril 2019 / 09:00 - 16:30
« La médecine de demain ne sera pas la même que celle d’aujourd’hui : prédictive, personnalisée, numérique, elle devra sans cesse s’adapter aux nouveaux enjeux et aux nouvelles technologies » (( Stratégie nationale de santé 2018-2022, Ministère des solidarités et de la santé, Paris, 2017, p. 63. )) . C’est par cette phrase que la Stratégie nationale de santé 2018-2022, présentée par le Ministère des solidarités et de la santé, indique vouloir faire de l’introduction du numérique en santé, et notamment des données massives, l’avenir de la santé publique. Cette évolution renverrait résolument au passé les premières définitions de la santé publique, axées sur l’hygiène, telle que celle d’Eugène Gautrez, qui faisait d’elle « l’application aux intérêts collectifs, et non plus aux seuls individus des mesures édictées par l’hygiène en ce qui concerne ses rapports avec le monde extérieur » (( E. GAUTREZ, « De la protection de la santé publique », Conférence donnée à Clermont-Ferrand, le 27 mars 1896. )) . La santé publique est devenue par la suite « la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie, de promouvoir la santé et l’efficacité physique à travers les efforts coordonnés de la communauté pour l’assainissement de l’environnement, le contrôle des infections de la population, l’éducation de l’individu aux principes d’hygiène personnelle, l’organisation des services médicaux et infirmiers pour le diagnostic précoce et le traitement préventif des pathologies, le développement des dispositifs sociaux qui assureront à chacun un niveau de vie adéquat pour le maintien de la santé » (( Propos de Ch-E. WINSLOX repris par D. FASSIN, « Santé Publique », dans D. Lecourt (dir.) Dictionnaire de la pensée médicale, Paris, PUF, 2004, pp.1014-1018. )) . L’utilisation des données massives en santé publique, telle que décrite dans les discours, pourrait offrir de nouveaux outils pour parvenir aux objectifs ainsi fixés. Par exemple, dans le domaine de la cancérologie, l’utilisation des Big data permettrait d’anticiper la survenue de certains cancers en mettant en lumière de nouveaux facteurs de risques. Les données des hôpitaux sont, elles, utilisées afin d’appréhender et de suivre la dissémination des staphylocoques en milieu hospitalier pour proposer des stratégies de lutte contre la bactérie. Le recueil de données pourrait encore jouer un rôle en matière de pharmacovigilance, voire de matériovigilance, notamment pour centraliser les évènements indésirables, identifier et mesurer les risques d’un médicament ou d’un dispositif médical, conduisant à son retrait du marché (( Voir le cas du système I2b2 (informatics for integrating biology and the bedside). )) . En somme, l’introduction des données massives en santé publique renouvellerait cette discipline centenaire.
Ce renouvellement se déclinerait de plusieurs manières : possibilité d’exploiter ensemble des bases de données publiques et des bases de données privées, incluant aussi des données issues d’objets connectés ; possibilité de collecter et traiter une grande diversité de données (signaux biologiques, dépenses de santé, observance des traitements, facteurs environnementaux, habitudes de vie etc.) ; possibilité de stocker un nombre toujours plus important de données… Les discours favorables des acteurs publics projettent l’élaboration de nouveaux plans de prévention en santé, des traitements mieux ciblés pour les patients et l’ouverture de voies de recherche insoupçonnées en santé publique. Le changement ainsi décrit aurait aussi pour conséquence de faire intervenir de manière renouvelée les acteurs privés dans le domaine de la santé publique. Le programme Google Flu développé à la fin des années 2000 en est un exemple bien connu, quoique discuté.
Le traitement des données massives en santé publique pourrait être davantage qu’une voie méthodologique supplémentaire au service des fins traditionnelles de la santé publique. En s’imposant, elle pourrait entraîner un changement de cadre de pensée et provoquer ou exprimer une modification profonde de l’objet même de la santé publique. Un tel bouleversement – qu’il soit purement méthodologique ou plus fondamental – appelle une étude critique pluridisciplinaire. Il suscite, en effet, des interrogations sur les opportunités à saisir et des craintes sur les risques induits, notamment sur la manière d’assurer le respect de la vie privée des individus dont les données sont collectées, sur la fiabilité des données exploitées par des opérateurs privés et publics, sur le contrôle social des choix méthodologiques qui auront des conséquences sur les politiques de santé publique futures. En somme, quelles sont les implications d’une telle évolution ? Quelle reformulation du champ de la santé publique en découle ? L’introduction des données massives induit-elle une rupture ou une continuité pour les pratiques en la matière ? A quelles transformations faisons-nous face, pour quels risques et pour quels bénéfices? Ces questions font l’objet du présent colloque.