Compte-rendu de l’atelier “Numérique et action publique” du 13 mars 2018
La réunion s’est déroulée dans les locaux de l’IEA de Paris, dans le 1er arrondissement, et la discussion a porté sur la lecture croisée de 3 textes très différents les uns des autres ayant pour point commun la question du numérique au cœur de la réforme de la Justice : une méthodologie de la confiance.
- Le rapport sur l’open data des décisions de Justice par Charles-Edouard Bucher
Mission sur l’open data des décisions de Justice confié par l’ancien garde des sceaux à un Professeur de droit, Loïc Cadiet. Le Rapport a été rendu le 9 janvier 2018.
Le groupe : composé de représentants des juridictions, de la CNIL et du Conseil national des barreaux, a proposé certaines recommandations pour la mise en œuvre normative et technique de cet open data.
Les raisons :
- Immédiates : la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a institué en ses articles 20 et 21 la mise à disposition du public à titre gratuit (en « open data ») de l’ensemble des décisions de justice – judiciaires et administratives –.
- Médiates : la connaissance des jugements et arrêts est de nature à améliorer les pratiques juridictionnelles et à rendre prévisible la solution d’un litige.
Les recommandations (dans quatre directions) :
La première consiste à renforcer les techniques existantes dites de « pseudonymisation » des décisions, afin d’assurer la protection de la vie privée des personnes.
La deuxième est d’instituer une régulation des algorithmes qui exploitent les données issues des décisions, afin d’assurer une transparence sur les méthodologies mises en œuvre.
- Recommandation n° 20 du Rapport propose de « Réguler le recours aux nouveaux outils de justice dite « prédictive » par :
– l’édiction d’une obligation de transparence des algorithmes ;
– la mise en œuvre de mécanismes souples de contrôle par la puissance publique ;
– l’adoption d’un dispositif de certification de qualité par un organisme indépendant ».
La troisième est de définir les principes directeurs de cette architecture nouvelle en confiant la gestion des bases de données au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.
La quatrième est d’exposer les principales possibilités de diffusion des décisions au public.
Difficultés :
Diffusion des décisions de justice entre en plein dans le cadre d’application du règlement général sur la protection des données « RGPD » (Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE règlement général sur la protection des données).
On peut également rapprocher cette préoccupation du projet de loi relatif à la protection des données personnelles qui a été déposé le 13 décembre 2017 par l’actuelle garde des Sceaux dont l’objet est d’adapter la loi française Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 au droit européen. C’est d’ailleurs le « développement de l’ère numérique [qui] oblige à repenser le cadre applicable aux données personnelles » selon les propres termes de la Ministre. Ce projet de loi est en cours de discussion devant l’Assemblée Nationale. Un amendement à ce projet de loi a été introduit par le gouvernement qui prévoit la réutilisation des informations figurant dans les jugements et décisions disponibles en open data « mais à la condition qu’elles ne permettent pas l’identification des personnes concernées ». Cette condition a été adoptée.
- Justice : faites entrer le numérique (Institut Montaigne) par Charles-Edouard Bucher
Institut Montaigne = « plateforme de réflexion sur les politiques publiques dans notre pays ».
Rapport remis en Novembre 2017 : contient certaines propositions afin d’apporter sa contribution à la réflexion sur l’utilisation des outils numériques pour améliorer l’offre de justice dans le domaine civil.
Le numérique serait même la condition sine qua non de la transformation de la justice et ce d’autant plus que l’institution judiciaire est perçue comme étant en crise.
- Le Rapport s’est donné pour objectif de mieux comprendre les attentes des justiciables. Ce qui se dégage, ce sont des attentes en termes d’autorité, confiance, simplicité, loyauté, crédibilité, accessibilité, coût, temporalité, prévisibilité, humanité, praticabilité, efficience, effectivité, et globalité.
- Le numérique pourrait y répondre :
- Traitement électronique de certains contentieux, sans comparution des parties
- Comparutions par visioconférence.
- Enregistrement des débats judiciaires afin d’assurer la publicité des décisions de justice
Mais cela fait apparaitre de nouveaux besoins d’encadrement des nouveaux outils afin de préserver l’égalité d’accès à l’information entre les citoyens.
Bien sûr, une telle réforme permet de revoir la fonctionnalité et l’implantation territoriales des services de la justice.
- Les chantiers de la Justice par Rudy Laher
Le 15 janvier 2018, la garde des Sceaux a reçu les rapports des cinq chantiers de la Justice à la Chancellerie. Ces travaux ont pour objectifs annoncés de transformer en profondeur la Justice et de répondre efficacement aux attentes des justiciables. À bien des égards, le numérique se trouve au cœur de la réforme projetée. D’abord par son mode d’élaboration puisqu’elle a été construite autour d’une consultation de nombreux professionnels du droit via une plateforme internet. Ensuite, par l’esprit général qui se dégage de ces chantiers. Il n’est en effet pas innocent d’avoir consacré un des rapports à la seule question du numérique alors qu’il aurait très bien pu être envisagé de ne la traiter que de façon transversale. Le numérique est alors paré de toutes les vertus : il facilite les démarches des citoyens, accélère la procédure et, de ce fait, permet de rétablir un lien de confiance entre les justiciables et l’institution judiciaire. Voilà pourquoi, enfin, une procédure 100 % dématérialisée de bout en bout est prévue à l’horizon 2020. Cet objectif impose de nombreuses évolutions techniques qui risquent de bouleverser les équilibres mis en place par les différents codes procéduraux. Sont ainsi annoncés, pêle-mêle, la saisine par internet, le dossier numérique unique ou encore la généralisation de la communication électronique. Le projet est ambitieux mais présente aussi de vrais dangers quand on sait que près de treize millions de Français demeurent éloignés des outils informatiques. La refondation de la justice est aujourd’hui nécessaire et passera sans doute en partie par le numérique. Toutefois, un excès de dématérialisation sans prise en considération des principes fondamentaux ou de l’aspiration à une justice humaine plutôt que robotique risquerait de rendre le remède pire que le mal. C’est peut-être aussi pour cela que les axes de la réforme dévoilés le 9 mars 2018 apparaissent, sur certains points, moins ambitieux que les rapports.
La prochaine réunion de l’atelier aura lieu le 30 mai 2018, à Cachan.