“Frontières de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie : l’exemple du mouvement critique du droit”, une intervention de Lionel Zevounou
À l’occasion de la Journée des ateliers du GDR NoST (30 mai 2018), l’atelier « Critique du droit, critique des sciences », co-organisé par Volny Fages, Jérôme Lamy et Olivier Leclerc, a accueilli Lionel Zevounou, maître de conférences à l’Université Paris-Nanterre et membre du Centre de Recherches sur le Droit Public.
Frontières de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie : l’exemple du mouvement critique du droit
Résumé de l’intervention
Cette présentation part d’un questionnement. En l’occurrence, que signifie, dans la discipline juridique, de se dire « hétérodoxe » ? De quoi l’hétérodoxie est-elle le nom ou l’usage ? Posée dès le début de ce cycle de séminaire, lors de la présentation conjointe faite par Jérôme Lamy, Olivier Leclerc et Volny Fages, sur le mouvement critique du droit, cette question est abordée dans la présentation proposée qui prend pour objet ce même mouvement.
Chemin faisant, le constat a émergé selon lequel il manque cruellement de place pour une approche épistémologique (dans son versant sociologique) de « sciences studies » chez les juristes. Il convient de distinguer dès à présent, la théorie du droit des sciences studies. Telle que communément pratiquée, la théorie du droit de tradition réaliste s’intéresse davantage à la méthode qu’à la manière dont est structurée et située socialement la profession des juristes universitaires et praticiens qui contribuent à produire la doctrine. On parle précisément de « méthode » par référence à une manière non cognitive d’analyse du droit qui prend au sérieux le langage des juristes (j’y inclue la doctrine, autant que les juges ou le législateur).
Les ouvrages d’épistémologie juridique se contentent, grosso modo, de retracer les grands courants de la pensée juridique ou d’identifier leurs méthodologies. Jusnaturalisme, positivisme, sociologie juridique, anthropologie juridique, droit et littérature, droit et économie, etc. L’épistémologie, telle qu’elle est exposée dans ces ouvrages désigne un discours sur la science certes, mais non un discours qui cherche à situer les acteurs du champ juridique dans leurs contextes. En ce sens, l’épistémologie telle que pratiquée en France se rapproche d’une forme d’histoire de la pensée juridique ou, plus rarement, de l’influence d’un certain nombre de courants de pensée sur ladite pensée.
La présentation s’est donc proposé de se démarquer d’une telle approche épistémologique usuelle en essayant d’intégrer à la réflexion les possibilités d’appréhender « la science en train de se faire », au regard des travaux récents sur la sociologie et l’anthropologie pragmatiques. À l’instar d’autres savoirs académiques, la science des juristes mérite aussi d’être appréhendée comme un champ social à part entière. L’émergence de courants de pensée s’inscrit dans un contexte social et un rapport de forces académique.
Présenté généralement par ses acteurs comme un mouvement « hétérodoxe », le mouvement Critique du droit né à la fin des années 60 mérite d’être analysé à partir d’un regard de sciences studies. Une des questions qui apparaît pertinente consiste à se demander : en quoi la manière de pratiquer la doctrine par le mouvement Critique du droit a-t-elle influencé la « science normale » des juristes ?
Image d’en-tête : couverture de l’ouvrage “Pour une critique du droit” paru dans la collection “Critique du droit”. Source : Wikimedia Commons.